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françaisalsacien (allemandlatin)

La lotise

La lotise, lottise, s'Lotisa, das Loteisen

L'image de gauche représente un extrait d'un inventaire de Fréland de 1718. C. RIETTE

"Une lottise neuve": à quoi correspond ce mot désignant un objet parmi des outils principalement forestiers? Remarquons d'abord que cet inventaire concerne une succession ouverte à Fréland; donc dans la partie "welche" de la vallée de Kaysersberg.
Les habitants, les forestiers de ce village parlaient un patois issu de la langue d'oïl. Mais il faut souligner qu'ils étaient aussi en relations avec leurs voisins de la vallée utilisant le dialecte alsacien. De ces fréquentations répétées sur le lieu de travail, ils ont ramené et utilisé des outils employés par les dialectophones. Pour les désigner et les assimiler à leur vocabulaire, ils ont repris le nom tel qu'ils l'avaient entendu tout en lui donnant une consonance française.
C'est ainsi que le Loteisen allemand ou Lotisa alsacien, est devenu une lotise dans le Val d'Orbey et dans la partie "welchisante" du Val de Villé. Il a même franchi la crête des Vosges pour devenir la lotize du forestier vosgien.
C'est un de ces outils qui très souvent portent un nom qui est propre à la région où il est utilisé.
Si cumangle ou commangle et fleuret sont assez répandus, on trouve tire dans le Béarn, linguelle et linguerre en Savoie et qmanle ou qmanlé de part et autre des Aravis.

Mais de quel outil s'agit-il ?

C'est un outil qui sert au bûcheron et plus spécialement au débardeur.
Une fois l'arbre abattu, il est ébranché et il n'en reste que le tronc. Celui-ci doit être amené à un endroit d'où il peut être enlevé en voiture avec les autres troncs de la coupe.
De son lieu d'implantation d'origine, le tronc est tiré par un animal de trait, généralement un cheval, s'Ross, qui est plus nerveux et répond plus rapidement que le boeuf d'r Ochs.

Le cheval tire l'arbre à l'aide d'une chaîne fixée au tronc par la lotise. Celle-ci ressemble à un burin ayant la forme d'un coin ne dépassant pas 20 cm. La partie effilée entre dans le bois, l'autre extrémité, la tête, est plate et destinée à recevoir les coups du marteau ou de la tête de la hache. Du côté de la tête passe un anneau qui recevra la chaîne de coin d'Schleifkett reliée au harnais, d'r Kummet du cheval. (Image du milieu)

Dans certains cas on n'utilise pas de lotise et on passe directement une chaîne autour du tronc à débarder (la chaîne de tronc ou de tronce). Cela présente cependant quelques inconvénients. La chaîne racle en effet le sol qui est alors fortement dégradé. Par ailleurs dans un terrain en forte pente il arrive que le tronc se mette à glisser et prenne de la vitesse dépassant celle du cheval. Ce dernier risque d'être entraîné dans la descente. C'est pour limiter ce risque qu'est employée la lotise.
En effet, le conducteur du cheval marche à côté de celui-ci pour le guider et soutenir son effort par la voix. Si le tronc s'emballe il a la possibilité de donner un coup de maillet sur la lotise pour la désolidariser du tronc. L'arbre dévalera la pente, sera peut-être perdu, mais le cheval sera sauvé.
Pour augmenter encore la sécurité, certains forgerons fabriquaient une lotise particulière (image de droite) : a bletzhoka, un crochet sauteur. Celui-ci avait la particularité de pouvoir être enlevé très rapidement d'un seul coup de marteau.
Un coup de marteau donné sur la partie située à l'intérieur de l'anneau suffit pour dégager le crochet.

Quelle est l'origine du mot Loteisen ?

Il pourrait être rapproché du mot allemand das Lot, l'applomb, la perpendiculaire. Mais il semblerait aussi apparenté à l'allemand der Lotse, le pilote qui guide les navires, dérivé du verbe leiten, guider. Lotse est considéré comme une abréviation du mot der Lootsmann, emprunté à l'ancien anglais "Lodisman" composé de "lad", le chemin et de "man", l'homme; c'est celui qui connaît le chemin. L'Anglais utilise d'ailleurs le mot "lodstar", étoile polaire, pour désigner un but ou un principe directeur. Il peut donc paraître logique de retenir cette origine. Cette thèse serait confirmée par le nom que donnent à cet outil en Haute-Savoie, les anciens forestiers du secteur de la Chaîne des Aravis, c'est à dire : "qmanle" ou "qmanlié". Ce nom est dérivé du verbe "qmanler" signifiant "y aller". On y retrouve bien la fonction de la lotise : diriger le tronc d'arbre dans la bonne direction.
Pour terminer on peut souligner qu'il est heureux qu'il n'y ait eu qu'un seul exemplaire de lotise dans l'inventaire ce qui permet d'affirmer qu'il s'agit d'un nom féminin : "une lottise neuve".

Bernard Guiot

Ouvrages à consulter :
- Dictionnaire des outils de Daniel Boucard (au CDHF)
- Les scieries, les anciens sagards des Vosges de Boithias et Brignon
Remerciements à:
André Simon, Guebwiller et Thierry Oizel, Bonneville 74.