Notices de familles ( 1305 entrées )

Schwander

Les arbres n'ont pas d'ailes

Pour les Amis du CDHF, le président de commission Denis Dubich nous raconte d'où sont venus les Schwander de la région de Colmar.

Parlantes, telles un rébus, les armes des Schwander montrent un cygne (« Schwan »), mais le nom de la famille est sans rapport avec ce gracieux volatile. (D. Dubich)  

Jusque dans ses armoiries, la famille Schwander cultive le souvenir de ses origines suisses, avec cette petite croix d'argent posée discrètement « en senestre » du « chef » (voir illustration), et si un cygne d'argent passe sur un écu de gueules, c'est pour mieux rappeler, en clin d'oeil, que dans la langue des aïeux des Schwander, « Schwan » désigne cet élégant volatile palmipède qui rehausse de son altière présence certains de nos étangs et plans d'eau. Mais le cygne est aussi, et on s'en souvenait moins jusqu'à l'apparition de la grippe aviaire, un migrateur. Or, comme le rappelait à Hervé de Chalendar le Colmarien Aloyse Ostertag, quelque peu agacé par le discours récurrent des généalogistes sur les arbres contenant par branches entières de lourdes grappes immuables d'ancêtres ainsi enracinés, « ce sont les arbres qui ont des racines, pas les oiseaux... » M. Ostertag ne s'y trompait pas : nos ancêtres n'avaient pas des racines mais des ailes ; ils étaient des oiseaux que leurs ailes portaient là où, souvent, un ventre criant famine leur indiquait que la vie serait plus douce.

« Les arbres ont des racines, pas les oiseaux »

Dans leur migration de la Suisse vers l'Alsace réside cependant la seule analogie entre les Schwander et le « Schwan » ou cygne. Car ce patronyme n'a rien à voir avec le gracieux oiseau, et les armes des Schwander ne sont que parlantes, s'amusant des consonances sous la forme d'un rébus. On ne se méfie pas suffisamment de telles armoiries qui portent en elles non pas l'étymologie d'un nom mais sa sonorité...

Sept siècles d'histoire

Bien des familles aujourd'hui alsaciennes tirent leurs racines (ça insiste : déjà oubliées, les ailes !) de la proche Suisse, mais pour nombre d'entre elles, on ne connaît pas précisément le lieu d'origine, ni leur ancienneté. Il en va différemment des Schwander.

Dès 1305, Uolricus Swandere est évoqué dans un parchemin concernant Möschberg (Oberthal). Vingt ans plus tard, c'est un Peter du même nom qui cultive là des terres. Toujours en 1325, Uelli von Swanden est cité comme paysan, lui aussi à Möschberg, suivi de Welti et de Peter von der Swand, de Lauperswil, cités tous deux dans un document de l'an de grâce 1389.

Nous sommes ici dans l'Emmental, cette vallée creusée à l'est de la prestigieuse ville de Berne par l'Emme. Non loin de là, plusieurs villages ou lieux-dits se nomment Schwand ou Schwanden, près de Rüderswil (un lieu-dit Schwanden connu dès le XIIIe siècle), dans les communes d'Oberthal, de Wynigen, celles d'Aeschlen, de Bleiken, Hasle et Lauperswil, justement, de Münsingen, de Trub, d'Oberhünigen, de Trachselwald et de Trubschachen aussi... Nul doute que l'un de ces nombreux toponymes est à l'origine du nom de nos Schwander alsaciens, car c'est du nord de l'Emmental qu'est venu leur ancêtre, du village de Wynau exactement...

Défrichage et déchiffrage

Rien à voir avec un cygne, disions-nous, mais bien avec un arbre ! À tourner ainsi autour des racines et des ailes, nous devions bien finir par retomber un moment ou un autre sur... nos pieds. Car, en effet, le toponyme dont les Schwander tirent leur nom, en allemand médiéval « swant », était un endroit où les arbres avaient été coupés courts mais dont les troncs étaient restés plantés dans le sol, contrairement aux « Rüti » ou « Rütti » qui étaient des zones certes déboisées elles aussi, mais où les arbres avaient été entièrement supprimés, racines y compris, généralement par le feu. Le Schwander n'est autre que celui qui est originaire d'un « swanta », plus récemment « swant ». « Swandjan », comme on disait en allemand médiéval, signifiait essarter, défricher, notamment par le feu. De tels endroits étaient autrefois légion, ce qui explique l'existence, en Allemagne comme dans d'autres pays germanophones, du grand nombre de toponymes et aussi des patronymes qui en dérivent.

Dans le canton de Lucerne, nous disposons à cet égard de l'exemple du village de Doppelschwand où sont déjà cités en 1489 les dénommés « Ulrich in der Schwand und Heidwig sin Ehewirttin ... ab dem Guott in der Schwand ». Ledit Ulrich et son épouse vivaient donc dans leur ferme (« Gut ») située « in der Schwand » dans la paroisse de Doppelschwand et y tenaient des prés dont l'emplacement se trouve décrit, conformément à l'usage, par rapport aux parcelles voisines.

Un Caspar Schwander se marie en 1665 à Oberentzen et une Catherine Schwander en 1680 à Bergholtz. Sans doute sont-ils tous deux issus de cette souche catholique lucernoise. Hirtzfelden connaît en 1677 un curé nommé Barthélemy Schwander, originaire du canton de Lucerne et décédé en 1678 à Ensisheim, et Katzenthal voit en janvier 1689 le mariage de Joseph Schwander, de Rothenburg, toujours dans ledit canton de Lucerne, avec Margaritha Hoenisen, elle aussi originaire de Suisse.

Un ancêtre commun

L'église protestante de Horbourg-Wihr a permis aux Schwander venus de Suisse de rester fidèles à leur foi réformée jusqu'à ce jour. (D. Dubich)  

S'il est vrai que plusieurs Schwander sont arrivés en Alsace après la guerre de Trente ans, les actuels porteurs du nom, protestants, sont dans leur grande majorité issus d'un ancêtre commun, Hans Heinrich Schwander, qui habite à Wynau où il est né en 1601. Wynau se trouve au nord de l'Emmental, près de Burgdorf. Et, comme le montrent les travaux de l'Alsacien Émile Jean Schwander (une histoire familiale publiée en 1933), la souche est installée dans ce village depuis 1558 au moins, représentée alors par Niclaus Schwander, père de quatre enfants. Parmi sa descendance, nous trouvons notre Hans Heinrich qui épousera vers 1630 Bärbli Lüscher. Des huit enfants de ce couple, tous nés en Suisse, quatre émigreront en Alsace et feront leur vie à Horbourg(-Wihr) : Verena (1633-1683, mariée à Andolsheim), Hans Jakob (1642-1675), Hans Heinrich Jr. (1645-1717) et Elsbeth (née en 1649 et mariée à Horbourg en 1683). Voilà donc le point de départ de la souche alsacienne toujours existante à Horbourg, Andolsheim, Wolfgantzen, Riquewihr et aussi vers Guebwiller et Mulhouse, aujourd'hui.

Sans entrer plus avant dans le détail de la généalogie familiale, voici quelques lignées auxquelles les Schwander de cette souche sont apparentés en France : Kugel et Hirtz (XVIIe), Obrecht (du XVIIe au XXe), Ulrich (XVIIIe), Haemmerlin et Walch (XVIIIe-XIXe), Saltzmann, Stinner, Meyer, Holger, Husser, Kreyenbuhl, Zollger, Ritzenthaler, Beringer, Bruder, Pfau, Merius, Kopp et Hoffert (XIXe), Fuchs (XIXe-XXe), Bolliet, Voegeli, Gebhardt, Schoeny, Ohresser (XXe)...

Et nous ne nous en tenons là qu'aux unions les plus anciennes, dans la région de Colmar ! D'autres branches ont émergé au XIXe siècle à Nîmes, où Jean est brasseur, et Roquemaure, où Mathias est maître-tonnelier, à Saint-Dié, où Georges-Albert est professeur de mathématiques, à Épinal, où Jean-Sigismond-Edmond est droguiste-herboriste, à Paris, où Frédéric Schwander est typographe, et même à Sfax, en Tunisie, où Édouard-Gustave est employé à la PTT, comme on dit à cette époque-là.

Dans l'ascendance d'un Prix Nobel

L'un des plus éminents membres de la famille est sans doute Jean-Rodolphe Schwander, né en 1868 à Colmar, qui épouse Marie Obrecht en 1894 de et à Horbourg. Docteur en droit, maire de Strasbourg, « Statthalter » d'Alsace-Lorraine, Président de la Province de Hesse-Nassau (Prusse) : aucune charge ne sera trop ambitieuse pour lui. D'ailleurs, un lointain cousin de Jean-Rodolphe a fort bien « réussi dans la vie » lui aussi : Alfred Kastler (1902-1984), Prix Nobel de Physique, dont la grand-mère maternelle s'appelait Catherine Schwander et a vécu toute sa vie, de 1839 à 1886, à Wolfgantzen. Grâce à elle, donc, Alfred Kastler a l'une des ses racines (ou de ses ailes ?) à Wynau, dans l'Emmental.

Denis Dubich