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Moyses - Mauses - Mausy

Un mythe originel ?

Denis Dubich nous parle des Moyses, aux origines desquels se trouverait une expulsion au XIVe siècle.

Selon une tradition qu'il ne nous a pas été possible de vérifier par les documents, l'ancêtre des Moyses, Mauses ou Mausy du secteur de Wittenheim, Ungersheim ou Feldkirch aurait été un juif mulhousien expulsé de sa ville au XIVe siècle car il avait contrevenu à une règle fondamentale : celle d'épouser une femme de sa communauté. Au lieu de cela, le juif Moyses aurait pris pour femme une « goy », soit une chrétienne. Peut-être est-ce vraiment ainsi que cette famille s'est retrouvée dès le XIVe siècle à Wittenheim, comme le prouve notamment un parchemin daté du 20 juin 1416 et rédigé par le prévôt de Mulhouse Wetzel Sellin, document que nous avons retrouvé avec Alain Eckes.

Expulsé pour l'amour d'une femme ?

Par cet acte, noble Kraft von Ungersheim rend des biens à la chapelle Saint-Nicolas de la Porte Haute, à Mulhouse, biens ayant été tenus jusque là par Hennin Moyses (orthographié plus loin Henin Moises) et Henin Bener (ou, plus loin, Benner), de Wittenheim. De nombreux témoins mulhousiens ont assisté à la rédaction de ce parchemin.

Est-ce Hennin Moyses que les pogroms ont chassé, selon la tradition, de Mulhouse ? Cette légende repose-t-elle sur un fait historique ? Voilà qui reste énigmatique. Si elle disait le vrai sur l'origine de la famille, elle aurait en tout cas la vertu d'expliquer comment ce patronyme, reposant sur le nom hébraïque de Moïse et dès lors porté dans la plupart des cas par des familles juives, se voit ici transmis par une famille très certainement catholique dès le XVe siècle. En effet, le mariage d'un juif avec une catholique engendre des enfants chrétiens. Et puis, un juif aurait-il pu tenir des terres, comme l'indique ce parchemin du 20 juin 1416, si l'on sait que cette communauté était précisément exclue de cette activité, ce qui l'a du reste encouragée à exceller dans le commerce que les chrétiens, pour leur part, voyaient d'un mauvais oeil ?

À en croire J.-K. Brechenmacher, les Moses ou Moyses, qui ont des homonymes en Allemagne, ne sont pas tous d'origine juive, pour autant que cela soit vérifiable jusqu'au XVIe siècle : il s'agissait en effet souvent d'un nom de baptême chrétien (nos actuels prénoms). Et de citer Johann, Claus et Moyses Schachman, « Edelknechte » (damoiseaux) de Mahlberg (Ettenheim) dès 1310 ou encore Beat Moses, vicaire général de Spire (Speier) en 1580.

D'un point de vue étymologique, Moyses et ses variantes reposent en tout cas sur le mot hébreu Moscheh provenant sans doute lui-même du mot égyptien « fils » plutôt que de l'hébreu « celui que l'on a tiré de l'eau », comme on le pense parfois (on se souviendra en effet que Moïse, bébé déposé sur les eaux du Nil, fut sauvé de la noyade).

Quelle que soit la confession d'origine des Moyses, Mauses ou Mausy alsaciens - et il nous paraît évident qu'ils ne sont pas tous issus de la même souche -, ceux de Wittenheim peuvent s'apprêter à fêter leurs 610 années d'histoire, ce qui est une belle prouesse ! Restons-en donc aux porteurs du nom issus de cette souche-là et suivons pour ce faire Jean-Charles Winnlen qui a retrouvé un terrier du couvent de Schoenensteinbach (près de Wittenheim) faisant état des biens anciennement pris à bail vers 1397. Le rédacteur du terrier indique qu'un ensemble de terres se trouve aux mains de deux familles paysannes de Wittenheim : les Moyses et les Kröwel. Les baux viennent alors d'être renouvelés pour dix ans, en 1433, et évoquent les frères Heintzin et Clevin Moyses. On s'aperçoit donc que les Moyses étaient déjà à Wittenheim à la fin du XIVe siècle.

Il faudra ensuite attendre l'an 1526 pour trouver un nouveau membre de la famille, en la personne de Mathis Moyses, bourgeois de Wittenheim, qui apparaît alors dans une déposition contre le dénommé Bruner, chapelain de Saint-Nicolas de Mulhouse.

Une forte « diaspora »

Michel-Ange sculpta vers 1515 ce superbe Moïse de marbre conservé en l'église San Pietro in Vincoli à Rome.  

Non loin de là, à Kingersheim, les familles Moïses, Moisy, Mausy, Maussi, Mause... sont également attestées dès 1570, lorsque Hans Moises est le prévôt du village. Maria Moisis, de Kingersheim épouse en 1589 Jacobus Bruntz, d'Ungersheim. Puis nous voyons qu'Adelphus Moisis, lui aussi de Kingersheim, épouse en 1600, toujours à Ungersheim, Apolonia Lufferin, de Battenheim. Dès le tout début du XVIIe siècle, les Moyses seront représentés à Ungersheim par d'autres membres de la famille nouvellement arrivés là et ne cesseront d'y fleurir, mais c'est Adelphe qui, selon les recherches poussées de Michel Moyses, de Saint-Louis, est l'ancêtre de tous les Moyses actuellement établis à Ungersheim, Feldkirch, Soultz, Bollwiller, Ruelisheim, Sausheim, Rouffach, Merxheim, Colmar, Kaysersberg, Volgelsheim, Pfaffenhofen, Strasbourg, Hégenheim, Saint-Louis, ainsi que des Mausy de Battenheim ! Il s'agit dans tous ces cas de la même famille.

Le 24 juillet 1590, nous trouvons la requête du receveur Andreas Beck et de Diebold Moyses, prévôt de Wittenheim, auprès de la Régence d'Ensisheim, au sujet du paiement des blés. Nicolas Moyses est, en 1596, le représentant du prévôt du même village. À Wittenheim toujours, nous relevons dans les registres paroissiaux débutant en 1685 des mentions de la famille à partir de 1687, puis le baptême de Franciscus, fils de Joannes Jacobus Mauses et d'Anna Maria Moeglen, en janvier 1688. Hanß Jacob Maußes et Anna Maria, comme le notera le curé suivant, auront d'autres descendants dans leur village. De même, Joannes Zinck et Anna Mauslerin (Mauses) porteront sur les fonts baptismaux de ce village leur petite Anna Margaretha, en septembre de la même année. Le patronyme de la famille Moyses n'aura donc vraiment pas manqué de variantes. D'ailleurs, on n'en relève pas moins de onze différentes dans les seuls registres paroissiaux de Wittenheim, entre 1687 et 1792 : les fluctuations vont ainsi de Mauses à Moyses, en passant par Moysis, Moises, Mausis, Mausus, Moisis, Mausÿ, Mausi, Moysi et Moisy !

À Ungersheim, la famille est apparentée au XVIe siècle aux Bruntz, notamment, au XVIIe aux Holder, Wehkind (de Réguisheim), au XVIIIe aux Rantz, Weinzaepflen, Ernst, Erhard, Kimpflin (de Merxheim), Tritsch, Ginglinger et à nouveau aux Bruntz. Au XIXe, on relève des unions avec les Biehly, Bollecker, Knorr, Bettwiller, Scherrer, Mann... La souche de Feldkirch, présente dès 1668 et réalimentée par un nouveau membre de la famille en 1720, s'est liée au XVIIe siècle aux Ernst, puis, au XVIIIe aux Ehret, Muller, Fligitter, Durrwell (famille de Soultz), Richard, Zurbach, Leyenberger (vieille famille de l'Emmental), au XIXe avec la vieille famille Holder, là encore, ainsi qu'avec les familles Sibold, Strub, Pfulb, Allemann, Friedrich.

Mais les Moyses ont également essaimé à Rouffach (1584), Habsheim (1628), Raedersheim (1650), Bollwiller (1720), Uffholtz (1738) et Hartmannswiller (1744), Gundolsheim (1766), Bergholtz-Zell (1796), à Battenheim (XVIIIe siècle, surtout sous le nom Mauses, comme à Munchhouse), Oberentzen (1853), Zellenberg (1720) et même à Lapoutroie (1717), le temps d'un mariage, avant que le jeune couple ne fasse souche à Battenheim. Une dissémination à la hauteur de l'ancienneté de la lignée !

Un champion olympique

Issu de la branche ungersheimoise, Patrick Moyses porte haut les couleurs familiales. Paraplégique depuis l'âge de 18 ans, le sport lui permet de se distinguer à un très haut niveau. Champion du Monde en 1986, à Göteborg et vice-champion olympique à Séoul, il enchaîne avec le ski nordique et sera sélectionné en équipe de France pour les jeux d'Albertville, avant de passer à l'athlétisme ! En 1987, il découvre le handbike... et devient champion du Monde en 2002. Et sa carrière n'est pas finie ! S'il est un sportif accompli, Patrick Moyses est également un père de famille qui peut être fier d'avoir transmis à sa descendance l'un des patronymes les plus anciennement attestés en Haute-Alsace, un nom lié peut-être à une origine légendaire, mais qui est en tout cas toujours très florissant près des terres où il apparut il y a plus de six siècles.

Denis Dubich